top of page

Les alliances et parentés à plaisanterie : une richesse culturelle en Afrique

          Dans plusieurs sociétés traditionnelles, on a pu observer des formes de conduite ludique. Elles consistent en des outrages et des attaques que certaines personnes se plaisent à développer vis-à-vis d’autres personnes sans pour autant parvenir à un drame. Au contraire, elles semblent constituer des propos de bienveillance entre les impliqués. Ces pratiques sont plus connues en Afrique sous le vocable de ‘’Parenté à plaisanterie ou Alliances à plaisanterie’’. Les deux expressions n’ayant pas le même sens. On parle en effet de parenté à plaisanterie lorsqu’il y a un lien de consanguinité contracté par le mariage entre deux groupes ou deux familles à l’intérieur d’une même grande famille. Alors qu’il s’agit de l’alliance à plaisanterie lorsqu’il existe un lien entre deux groupes, deux villages, deux quartiers,  deux régions ou encore deux ethnies par le biais des ancêtres qui ont scellé un pacte basé sur les relations amicales régies par des codes. Il faut savoir que cette pratique culturelle a différentes appellations selon les ethnies. Les Moosé par exemple parleront de ‘’Rakiiré’’ alors que les Dioula parlent de ‘’Sinankuya’’ et les peuls ‘’Hoolaré’’. La plaisanterie se fait entre plusieurs communautés (Moosé et San), entre  membres d’une même famille (grands parents et petits enfants), entre  familles (Palé et Da chez les Dagara), entre patronymes (Coulibaly et Ouattara chez les Sénoufou), entre régions (Koudougou et Koupela), aussi entre classes d’âge (les générations différentes d’initiés) et enfin entre catégories socio-professionnelles (griots et forgerons chez les Bobo).

 

Le rôle de la pratique dans les sociétés africaines

         Le premier constat est le caractère ludique de la pratique. Il s’agit de jeux oraux qui sont dans leurs formes humoristiques. Ils se définissent essentiellement comme des plaisanteries pour  rire, se divertir et se défouler. Pour les individus des groupes alliés, chaque fois qu’ils se rencontrent, ils font semblant d’entrer en conflit. On assiste alors à une mise en scène de querelles verbales, d’injures dont le contenu se teinte de grossièretés, de dénigrements réciproques. Et ce sont ces paroles grossières et insultantes, très caricaturales, qui donnent à rire. Le plus souvent, les uns traiteront les autres ‘’d’esclaves’’, mettant à nu leur manque de génie, leur paresse, leur laideur ou encore leur manque d’habileté. Quelquefois, cette agressivité peut aller à des tapes physiques mais amicales. Les uns pourront saisir les biens des autres sans pour autant que cela ne porte préjudice. Une personne non avertie pourrait croire à une véritable bagarre. Mais en principe, c’est par des éclats de rire que s’achève la partie. Hommes, femmes, adultes s’y impliquent sans gêne et sans protocole ; créant ainsi une interaction entre classes et genres ; brisant parfois verbalement les grands tabous tels que ceux liés à la sexualité ou à la classe sociale. L’individu retrouve une satisfaction psychologique dans ce comportement qui crée l’humour et le rire. Cela est généralement présent dans les alliances à plaisanterie entre groupes ethniques ; car on peut également plaisanter avec le chef ou le roi. L’humour devient  alors comme le gardien de la mémoire. Les barrières de gêne sont brisées. En d’autres termes, les alliés se rencontrent pour s’amuser, pour plaisanter, pour jouer et rendre la vie plus agréable.

 

Représentation théâtrale de l’alliance à plaisanterie.

   Le deuxième constat est la dimension cathartique de la pratique. En effet, devant des blessures et des frustrations individuelles et collectives accumulées depuis des millénaires, les individus peuvent parfois porter à inventer des cadres d’évacuation. Ces pratiques deviennent alors une forme de conquête efficace de la liberté d’expression. Pour le auteur comme Kollin Noaga avec ‘’Le retour au village’’ ou Patrick G. Ilboudo avec ‘’Le procès du muet’’ ou encore Etienne Sawadogo avec ‘’La défaite du Yagha’’, ces relations sont une stratégie réparatrice de vieux conflits entre communautés. Le rôle de ces relations est donc de panser ces plaies par le biais de la violence de type cathartique. Le mot ‘’esclave’’ est assez souvent utilisé pour désigner l’allié à plaisanterie dans les différentes langues. Pour ne plus arriver à une situation réelle d’esclavage, on crée des esclaves occasionnels qui, symboliquement, porteront l’identité d’esclaves réels. Dans un jeu de pseudo-inimité, la vraie inimité est évacuée. Chaque allié à plaisanterie s’arrangera à exhumer les points faibles de son antagonistes. Il faut entendre par là, ses défauts, ses faiblesses, tout ce qu’il trouverait à lui reprocher en temps ordinaire, puis, le banalise dans le ludique. Le respect humain, les positions sociales, la pudeur, sont autant d’éléments qui font qu’il n’est pas toujours aisé d’aborder certaines questions délicates et de se dire directement des vérités. En lien donc avec les catharsis, les alliances et parentés à plaisanterie  sont une bonne méthode pour le faire.

         Le troisième constat est la présence des alliances à plaisanterie dans l’élaboration des réseaux de soutien social et communautaire. La question du réseau de soutien social rappelle toute la dynamique des interactions entre personnes et entre communautés. Ce réseau peut devenir très important dans un contexte où la socialisation se trouve en perdition. Les alliés développent donc, à travers des structures, des atouts médiatiques et de facilitateurs sociaux. Le succès des médiations leur confère parfois des pouvoirs de types exceptionnels. Le soutien social que reçoit une personne peut s’opérer, en outre, à travers des rituels symboliques. Même se trouvant en situation de minorité, une personne marginalisée peut, par la reconnaissance que suscite le jeu relationnel, recouvrer une forme de justice. Les alliances et parenté à plaisanterie sont également un langage, un moyen d’entrer en contact avec d’autres personnes, de créer des liens moins formels et moins chargés de lourdeur des civilités. Un allié à plaisanterie est une personne que l’on peut se permettre de déranger à tout moment ; tout en étant certain de ne pas l’incommoder. Cet élan de solidarité se justifie, se vit et se fait sentir dans l’intérêt accordé aux activités qui concernent un allié. De façon ludique mais réelle, la solidarité sera marquée parce que les alliés à plaisanterie sont comme des membres à part entière de la même famille. Et lorsqu’il y a aussi bien la joie que la peine, chacun participe.

Extrait du site « Regards sur le monde » 

https://regardsurlemondeculturel.wordpress.com/2015/12/14/les-alliances-et-parentes-a-plaisanterie-une-richesse-culturelle-en-afrique/

bottom of page